Accordez-moi

Le monde d'après

Chapitre 1 : El Mundo Después

Paco.

Les seules choses que Paco possédait était ses souvenirs, et son cortijo deux pièces, acquis pour une bouchée de pain, flanqué sur le versant sud de l’Alpujarra, débarrassée depuis longtemps de ses neiges éternelles. Assis à l’ombre du figuier de la terrasse dominant les plaines de Berja, il épluchait quelques fèves fraîches épargnées par la cruauté du soleil.

Cet immigré de la dernière heure, était accepté par la maigre population environnante pour deux raisons : l’une était qu’il portait un nom espagnol, et l’autre qu’il fut musicien. Ses nouveaux amis l’avaient rebaptisé Francisco puisqu’il était Français et ils finirent par l’appeler Paco car il était sociable. Il avait apporté de France une vieille guitare achetée d’occasion à bas prix, et un accordéon auquel il tenait comme à la prunelle de ses yeux.

El Cortijo Peñascos-Maria-Luisa

El Cortijo Peñascos-Maria-Luisa appartenait jadis à Maria-Luisa-la-vieja, qu’on appelait ainsi puisqu’elle était vieille. Elle n’habitait plus sa demeure depuis sa mort, sept ans auparavant.

Paco avait tout quitté sans prendre conscience qu’il rejoignait les miséreux n’ayant pas pu partir, tant pour un motif économique pour certain que leur faible capacité physique de leur âge avancé pour les autres.

La détérioration climatique avait décimé tout espoir d’évolution démographique à plus de 500 km à la ronde. C’est pour cette raison que Paco eut El Cortijo Peñascos pour une bouchée de pain et qu’on estima en France qu’il était devenu fou.

Officiellement, El Cortijo Peñascos n’avait plus de terre rattachée à la ferme, mais tout le monde prit parti en ces temps difficiles, de cultiver partout où il le pouvait, car le sol avait repris ses droits là où les ravages de la sécheresse de 2023 avaient fait fuir les riches propriétaires des serres infâmes et nuisibles qui couvraient tout le territoire.

Une source insignifiante pour les industriels de l’agriculture, alimentait suffisamment les quelques fincas habitées des alentours. Le savoir-faire ancestral de ces Andalous endurcis par une misère séculaire, permettait d’approvisionner en eau tous ceux qui en avait besoin en échange de l’entretien des biens communs.

Las Cuevas Altas

Tout le monde se réunissait à Las Cuevas Altas le jeudi soir, ou tous les autres jours de la semaine si une occasion se présentait. Pepe, qu’on appelait Pepe parce qu’il s’appelait José, frappait avec une louche sur une vieille paella réincarnée en gong espagnol. C’était le signal pour l’assemblée hebdomadaire.

Les gens de l’est remontaient el camino de las cabras pour rejoindre la fuente de la virgen (où ni l’eau ni la vierge n’étaient présentes), puis avec prudence el camino de las piedras perdidas pour atteindre au mieux Las Cuevas Altas. Ceux de l’ouest prenaient un chemin plus accessible mais plus long. Ce lieu avait été choisi car il était en temps, à peu près au centre de toutes les habitations éparpillées dans la montagne. De plus, le soir, la grotte apportait encore un peu de fraîcheur que la terre dans son indulgence, déniait accorder aux humains.

Quelque fois l’hiver, on faisait un feu pour s’éclairait un peu, mais souvent l’astre de la nuit s’en chargeait, quand il était bien luné.

L’assemblée.

Dès que tout le monde était installé et que le bruit était acceptable, la séance pouvait commencer. Il n’y avait personne au centre de l’assemblée pour diriger les débats et tout le monde prenait la parole chacun leur tour, s’il avait quelque chose à dire ou s’il devait répondre à une question, ou pour protester sur ce qui n’allait pas. Juan Antonio el calvo (parce qu’il était chauve) était élu acalde pour le mois en cours. Son rôle était de recueillir des activités de la semaine : ce qui avait été fait, ce qui restait à faire, et les nouvelles actions proposées.

On profitait de ce moment pour demander une aide quelconque pour un foyer, pour entretenir les biens communs ou pour les besoins des plus nécessiteux. Il y avait quelques éclats de rire quelques coups de gueules mais l’ambiance étaient plutôt joyeuse. À la fin de la séance quand tout le monde avait dit ce qu’il avait à dire et que tout le monde savait ce qu’il avait à faire pour la semaine suivante, on faisait parler Paco non seulement pour l’intérêt qu’il pouvait y avoir d’écouter Paco, mais aussi pour se régaler d’entendre son accent français et les maladresses de son vocabulaire.

Cantemos

Quand tout le monde s’en était délecté, Paco sortait l’accordéon, Saul-el-cojo (parce qu’il boitait), et Izan-el-bonito (parce qu’il était pêcheur), prenaient leur guitare. Inès qu’on appelait seulement Inès car elle était susceptible, chantait souvent la première, accompagnée de son mari Estaban-el-magnifico (à cause de sa femme) aux derboukas. Tout le monde participait aux chants par des frappes de mains, des « anda », des « olé », par des secondes et des troisièmes voix quand cela était possible. Las Cuevas Altas résonnait comme une salle de concert populaire. Antonio-el-feo, qui lui n’était pas susceptible, chantait les chants révolutionnaires mexicains que tout le monde connaissait et reprenait à leur compte…

Alors, Lola Morena, (qui était son vrai nom parce que ça lui allait bien) se levait, tout le monde faisait silence. La bougresse avait en plus une voix angélique. Saul et Izan grattaient les premiers accords de Malagueña Salerosa. Le chant roulait sur les parois de la montagne et remplissait la vallée de la voix de Lola. Le public rêveur et silencieux écoutait solennellement Lola la cantaudora. Puis les regards discrets se tournaient vers Paco qui, invariablement, pleurait…

Dans cette période de confinement, que ferons-nous dans 5 ans ? Dans 10 ans ? Dans 15 ans ? Seuls les rêveurs peuvent répondre à cette question préoccupante.

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